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Arrêter de faire comme il faut

J’ai récemment fait une expérience. J’avais un workshop à préparer pour une intervention et, comme d’habitude, j’en procrastinais la formalisation sur les slides. J’avoue avoir une sainte horreur de la création des slides. Je préfèrerais mille fois mieux pouvoir juste écrire, au gré de mon intervention, les points importants et les explications ou informations que je transmets sur les flipcharts.

Je ne sais pas d’où vient ce culte du slide et de la formalisation des informations données qui règne dans le monde de l’entreprise et de l’école. Il y a une sorte de terrorisme de la preuve à apporter qui s’y ajoute. Le fait de tout noter et de rassembler les informations sur les slides permet de pouvoir vérifier par la suite que ce que j’ai dit était vrai. Je trouve ce mode de fonctionnement névrotique. D’autant que les participants, pour la plupart, une fois rentrés chez eux, s’empresseront d’oublier tout ce qui a été dit pour se remettre la tête dans le guidon et reprendre leur rythme métro-boulot-dodo.



Et donc me voilà à devoir préparer mon workshop et le support visuel qui l’accompagne, et à repousser le moment de me mettre à la tâche puisque j’ai horreur de ça. En général, je vis ces journées et soirées précédant l’échéance, un nœud à l’estomac qui se resserre au fur et à mesure du temps qui passe, et plus il passe et plus l’anxiété monte et plus je me sens figée par la peur, moins je fais, puisque je suis figée. Un vrai cercle vicieux.


Mon parcours professionnel m’avait amenée à collaborer avec différentes personnes et jusque-là, je n’avais pas eu d’autre choix que de me conformer au mode de fonctionnement ambiant. D’une certaine manière, cela m’obligeait à formaliser mes workshops à l’avance et ne pas laisser l’échéance s’approcher trop. Sauf que là, je volais en solo, et que du coup, jusqu’à la veille au soir, je n’avais pas eu de bâton pour me battre et m’obliger à formaliser mes idées.

Je me jugeais. Je m’insultais intérieurement. Je me trouvais nulle et à coté de la plaque. Tout en ne me mettant pas à la tâche cela dit en passant.

Et puis d’un coup, pour je ne sais quelle raison, m’est apparu que tous ces jugements que je portais sur moi-même ne m’appartenaient pas. Ils étaient érigés en fonction de vérités qui m’avaient été imposées. Ou que j’avais achetées.

Qui a dit, et en fonction de quoi, qu’il est nécessaire de rendre un travail à l’avance et pas que j’ai juste à être prête à intervenir le jour J ? Y a-t-il une loi qui contraint à cela ? où ça ?

Lâcher prise


Et là, je lâche prise. Je me dis que de tous temps, j’ai été excellente pour produire à la dernière minute. D’un coup je vois, littéralement, sous formes d’images qui se structurent comme par magie, comment je vais m’y prendre, ce que je vais mettre dans mon atelier, la manière dont je vais amener les différentes notions, quels exercices à quel moment, le fil rouge, la cohérence des notions les unes avec les autres. La progression. Les bases d’abord, la subtilité ensuite. La puissance enfin. L’effet « wow » à la fin de l’atelier !


Je me dis que je pourrais, en tous cas pour cette fois, me faire confiance et me laisser faire comme j’ai envie de le faire, et attendre que ma créativité se déclenche. Je vaque à mes occupations, donc, je m’occupe des enfants, j’aide à faire les devoirs, je prépare le souper, en étant – pour une fois- présente, vraiment présente, à ce que je fais (au lieu d’avoir l’esprit préoccupé par mes auto-jugements).


Je trouve de l’apaisement. Je souffle. Enfin. Et tout d’un coup, les idées affluent. Je veux d’abord m’installer à l’ordinateur, ouvrir mon powerpoint et « coucher sur papier » mes idées. Mais une fois devant l’ordi, comme par magie (noire en fait) : pouf ! La connexion avec ma créativité se coupe.



Je refuse de me laisser entrainer par mes pensées jugeantes et de revenir à ma spirale négative et figeante. Au lieu de ça, je me dis : « comment je peux faire autrement » ? « De quoi ai-je besoin » ? Me vient à l’idée de mettre les mots-clefs sur des post-its et de coller ça sur les portes de mon placard blanc. Ça fait parfaitement office de tableau. Petit à petit, ça commence à ressembler à ces tableaux de flics enquêteurs qui collent sur leur tableau les différentes photos et informations liées à leur enquête. Je pense alors à changer de couleur selon les catégories : titres de « chapitre », contenu, la partie théorie, la partie exercices et la partie méta. Et puis je recule de quelques pas et contemple ma production. Et là, je ne peux que constater que mon workshop est construit, du début à la fin, et ce sur à peine 10 minutes. Je n’avais plus qu’à transcrire sur les slides. J’ai eu fini le tout à minuit quarante-cinq. Je n’allais probablement pas être super fraîche le lendemain, mais j’étais vraiment super satisfaite du résultat. Non seulement j’avais bouclé ma présentation, mais en plus, le workshop me ressemblait vraiment. J’y avais mis de moi dedans. Et je me sentais tout à fait alignée avec ce que j’allais présenter.


Le lendemain, le workshop s’est déroulé crème. Mieux que ça, ça a été un échange, un vrai moment de plaisir, de partage. J’ai pris un plaisir fou à animer ce workshop en m’autorisant à être qui je suis et comment je suis. Les retours ont été super gratifiants. J’ai reçu dans les jours qui suivirent des messages de remerciement et des feedbacks super positifs de mon intervention.


Je me suis autorisée à suivre mon instinct et mon mode de fonctionnement et cela a été plus que probant. Je me suis connectée à mon moi intrinsèque et l’ai laissé s’exprimer pleinement, sans jugement et dans le lâcher prise. J’ai pris un chemin que je n’avais jamais emprunté - ou est-ce que je l’avais emprunté autrefois, mais l’avais-je relégué aux oubliettes car ce n’était pas «comme il faut»? Ce n’était pas particulièrement confortable, au début. Compliqué de me faire confiance et de m’autoriser à faire différemment.

L’avantage de suivre les chemins balisés est qu’on peut supposer arriver à bon port dans les temps impartis en un seul morceau. Prendre les chemins de traverse, changer de cap un temps, c’est prendre le risque de ne pas arriver, ou d’arriver, mais en retard, avec un morceau en moins. En tous cas, c’est ce qu’on se figure. On imagine toujours le pire. On a toujours besoin de se rassurer. On n’imagine jamais que ça puisse être mieux. Je me demande bien si cela est lié à l’instinct de survie de l’être humain…


S’il existe des façons de faire « comme il faut », c’est que ces façons sont le fruit de l’expérience de nos prédécesseurs, que l’accumulation d’expériences avait permis de dégager des façons efficaces de faire et qu’il est, il est vrai, judicieux de les suivre. Le truc, c’est que cela a fini par s’imposer comme unique façon de faire. Ça a fini par devenir le modèle unique à suivre, sans discuter, sans réfléchir. Cela nous est enseigné, même. Le monde se trouve régi par des uniques façons de faire que chacun se doit de suivre sans poser de question, et il tourne, tourne, toujours de la même façon, produisant toujours les mêmes choses avec les mêmes genres de résultats. Perso, je ne vois pas comment le monde peut évoluer si nous ne prenons pas un peu de liberté par rapport à tout ça.


Que se passerait-il si nous suivions tous notre instinct et notre créativité ? Quel genre de créations impossibles et inimaginables pourrions-nous produire ? Et qu’est-ce que ça pourrait changer dans nos vies si nous nous autorisions pareille hérésie ?

Moi, ça m’a amené du plaisir de créer, de la légèreté. Ne plus me juger d’une part, m’a permis de gagner de l’énergie et m’a allégé la charge mentale. Faire comme j’avais envie, d’autre part, m’a permis d’ouvrir les vannes de la créativité, me laisser inventer, sans barrières et me connecter à qui je suis vraiment. Enfin, le lendemain, cela m’a permis d’être tout à fait moi lors de mon intervention, gagnant, j’en suis sure, en impact et en puissance.


Si je suis moi-même, j'aide les autres à devenir eux-même



Autre chose aussi, de très important : en m’autorisant à être qui je suis vraiment, cela incite les autres à s’autoriser à être eux-mêmes à leur tour. J’ai toujours trouvé curieux, cette dichotomie qui existe entre le conformisme criant de l’humanité et le besoin affiché des êtres humains d’être différent et unique. D’un côté, les personnes différentes sont rejetées – il suffit d’observer la montée en puissance du harcèlement notamment à l’école, mais pas que : handicapés, de race différente, de conviction différente, trop intello ou à la traîne, si tu n’es pas dans la moyenne générale tu es mort, tout le monde te met de côté et tu vis seul. De l’autre, les exemples de tentatives de singularisation sont multiples : trouver le nom original que personne n’a porté ou qui ne l’a été que rarement pour son enfant à naitre pour donner un exemple frappant, mais aussi, s’habiller de façon originale qui attire le regard, devenir célèbre (alors qu’en vrai, hein, la célébrité, c’est une vraie différence, ce n’est pas être comme tout le monde)…


Mais quid de la différence par le bon sens (pourquoi se conformer à une méthodologie qui ne me convient pas si je peux faire autrement bien plus efficacement ?), la différence pour plus de créativité et donc pour contribuer ? Comment se fait-il que l’être humain ait envie de se singulariser tout en ne voulant pas s’autoriser à faire autrement. Pourquoi a-t-il si peur d’être différent ?

Le monde est truffé de gens qui ne se sentent pas bien dans leur vie, qui ne parviennent pas à trouver la paix intérieure. Peut-être que si chacun s’autorisait à suivre sa petite voix, à créer ce qu’il a envie de créer, de la façon dont il souhaite créer, chacun se sentirait mieux, apaisé et que cela, pourquoi pas, contribuerait à créer un monde plus joli, une place où mieux vivre …


Qu’as-tu fait comme tout le monde, que si tu avais fait à ta façon, aurait donné un meilleur résultat ? Qu’aurais-tu pu créer de mieux encore, de plus grand, de plus chouette, de plus amusant, si seulement tu avais choisi ta façon à toi, ton timing ? Et qu’est-ce qui t’empêche de commencer maintenant ?

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